Dans un contentieux engagé par l’association CORAIL VIVANT TERRE DES HOMMES devant le Tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie, la province Sud a expliqué qu’elle ne disposait pas de rapport environnemental sur le site de VALE NC, avant de valider son rachat par un consortium majoritairement public dont elle fait partie.

Entre 2010 et 2021, VALE NC a produit 300 000 tonnes de nickel et 11 000 tonnes de cobalt en mettant en œuvre un procédé industriel unique dans ce domaine : la lixiviation. Ce procédé requiert d’énormes volumes d’acide (460 000 tonnes/an de soufre) et génère d’immense volumes d’effluents toxiques.

Depuis la mise en fonction du complexe, une partie de ces effluents sont rejetés dans le lagon sud et l’autre partie est stockée dans un immense barrage de rétention (dit KO2), qui contient plus de 27 millions de m3 de boue rouge, dont le niveau de toxicité n’a pas été divulgué.

Au cours de l’année 2021, la cession du complexe minier de VALE NC a suscité l’intérêt de plusieurs groupes industriels et a généré de très fortes tensions politiques et sociales. La valeur du minerai vert, ainsi que les dégâts sur l’environnement que son extraction et sa transformation occasionnent, attisaient les convoitises autant que les inquiétudes.

Compte tenu des risques d’accidents majeurs et de pollutions diffuses inhérents à l’exploitation minière, à la production d’acide, au procédé de lixiviation et au barrage de stockage de résidus, les informations sur l’état environnemental du site représentaient des éléments déterminants pour établir la valeur du complexe.

Pour cette raison, lorsque la cession du complexe exploité par VALE NC (filiale de la multinationale brésilienne VALE) était âprement débattue, l’association CORAIL VIVANT TERRE DES HOMMES (CVTdH) a demandé l’accès aux informations environnementales relatives au site, comme le Code de l’environnement le permet et conformément au principe constitutionnel d’information et de participation du public.

En raison des accidents qui ont marqué l’exploitation du complexe (dont plusieurs fuites d’acide dans les creeks du sud) et du risque d’affaissement de l’immense barrage de rétention de résidus (VALE étant responsable de la rupture de plusieurs barrages à résidus, dont celui de Brumadinho au Brésil, qui a tué 270 personnes en 2019), la connaissance précise des risques environnementaux était déterminante.

Les dégâts causés par le raz de marée de boue rouge, suite à l’effondrement d’un barrage de VALE, à Brumadinho, Brésil (2019)

Le mercredi 4 mars 2021, la signature de l’accord de cession du complexe minier de VALE NC au consortium PRONY RESOURCES, dont les provinces et l’Etat sont actionnaires, a mis un terme à plusieurs mois de blocages et de violences.

Toutefois, l’implication financière des collectivités dans ce rachat signifiait que les citoyens pourraient être indirectement (par l’intermédiaire de leurs collectivités) et partiellement (à hauteur de l’actionnariat de chaque collectivité) responsables de la remise en état du site et, en cas de pollution ou d’accident industriel, de l’indemnisation des victimes.

C’est pourquoi, de manière générale, les acquéreurs d’un site industriel de cette ampleur doivent connaître avec la plus grande précision possible les risques humains et environnementaux qui y sont associés. Cette connaissance permet de négocier le prix et les clauses dites environnementales.

En effet, compte tenu de la complexité de ces transactions, le droit des sites et sols pollués, ainsi que le droit des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), permettent aux vendeurs et aux acquéreurs d’adapter le transfert des responsabilités attachées à l’état des installations et de l’environnement.

Dans ce cadre contractuel, les parties à la cession disposent d’une grande latitude pour négocier le transfert des différents risques industriels (brèche dans le barrage, pollution des rivières et du lagon, contamination de l’aquifère, dépérissement des écosystèmes alentours, etc.) qui sont déjà identifiés, ainsi de ceux qui sont encore potentiels ou inconnus.

Compte tenu des sommes à engager lorsqu’un accident industriel se produit, ou qu’une pollution des sols de grande ampleur se révèle, ces informations sont cruciales et stratégiques. La pérennité de l’acquisition dépend donc, en partie, de l’exhaustivité des informations environnementales qui sont mises à disposition de l’acquéreur.

C’est pourquoi, avant d’acheter un complexe minier ou industriel, les candidats sollicitent ou diligentent eux-mêmes des rapports portant sur l’état de l’environnement du site.

Ces précautions n’ont pas été respectées par la province Sud.

En effet, à la suite des manifestations contre la cession du complexe minier de Prony, une opération de concertation élargie a eu lieu. Elle comprenait les acteurs de la société civile, dont quelques associations de défense de la nature.

Durant les premières phases de cette négociation, des renseignements sur l’état environnemental du site ont été réclamés. Cette revendication était d’autant plus légitime que les calédoniens allaient participer au rachat, à travers l’actionnariat des institutions dans le consortium PRONY RESOURCES.

Malgré ces enjeux, aucun rapport environnemental n’a été transmis avant la validation du rachat. Ce défaut de transparence représentait un affront à la société civile, et plus particulièrement à ses associations, qui avaient suivi et soutenu les négociations en vue de favoriser une issue constructive et pacifique au conflit.

Face à la rétention de ces informations capitales, l’association CORAIL VIVANT a porté un recours devant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et deux recours devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, afin de forcer la province Sud à transmettre les documents dont elle disposait sur l’état environnemental du complexe.

La CADA ayant émis un avis favorable à la communication de ces documents, la province Sud a présenté une défense étonnante, puisqu’elle affirmé qu’elle ne disposait pas de rapport environnemental sur l’état du site.

Dans son jugement du 29 septembre 2022 (n°2200158), le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, qui fait montre d’attentisme depuis de longues années en matière d’environnement, a complété lui-même la défense de la province Sud en expliquant que la loi ne pouvait pas imposer à cette dernière d’effectuer « des recherches » dans sa documentation pour répondre à la demande d’information de l’association.

Selon la défense soutenue par la province Sud, le complexe de VALE NC a donc été racheté sans connaître l’état environnemental global et actuel du site.

Cette réponse étant difficile à comprendre ou à croire, il est raisonnable de penser que les informations alors disponibles (la province Sud étant destinataire des rapports périodiques que l’exploitant est tenu d’établir, au titre du code de l’environnement) n’auraient pas permis de rassurer la société civile.

A ce propos, si la preuve de la dangerosité du complexe était encore nécessaire : la province Sud a été obligée de sommer PRONY RESSOURCES de vidanger le contenu du barrage KO2 directement dans le lagon, dès le mois d’octobre 2022.

Plus grave encore, les associations et l’Observatoire de l’environnement attendent toujours la transmission des rapports environnementaux prévus dans le cadre de l’accord politique de mars 2022 et confiés à l’organisation GREEN CROSS (par arrêté n°692-2021/ARR/DIMENC du 18 mars 2021), il y a déjà deux ans !

Compte tenu des enjeux économiques et des risques en présence, la rétention d’information constatée a pour effet de renforcer les pires craintes sur l’état de contamination et sur la dangerosité du site.

Lire le jugement:

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE NOUVELLE-CALEDONIE
N° 2200158
___________
ASSOCIATION « CORAIL VIVANT, TERRE DES
HOMMES »
___________
M. Benoît Briquet
Rapporteur
___________
Mme Nathalie Peuvrel
Rapporteure publique
___________
Audience du 8 septembre 2022
Décision du 29 septembre 2022
___________
26-06
C
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif
de Nouvelle-Calédonie
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 22 avril 2022, l’association « Corail vivant, Terre des
hommes », représentée par Me Plaisant, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision implicite de la province Sud de refus de communication des
documents qu’elle sollicite ;
2°) d’enjoindre à la province Sud de lui communiquer l’ensemble des documents
sollicités, sous une astreinte de 100 000 francs CFP par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de la province Sud une somme de 350 000 francs CFP sur le
fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la province Sud est tenue de lui communiquer l’ensemble des
documents demandés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2022, la province Sud conclut à ce
qu’il n’y ait lieu de statuer sur la requête, en tant qu’elle a trait aux documents qu’elle a déjà
communiqués à l’association « Corail vivant, Terre des hommes », et au rejet du surplus des
conclusions de la requête.
Elle soutient que :
– la requête, tardive, est irrecevable ;
N° 2200158 2
– l’association « Corail vivant, Terre des hommes » a déjà reçu communication des avis
du comité consultatif des mines du 2 février 2021, du conseil des mines du 5 février 2021, et de
la commission des équipements publics de l’énergie et des transports du 12 mars 2021, du
rapport n° 13532‐2021/1‐ACTS/DIMENC de la direction de l’industrie, des mines et de l’énergie
de la Nouvelle-Calédonie du 19 février 2021, et d’une présentation de la société Vale et de la
banque Rothschild permettant d’évaluer le bien-fondé de la décision d’autorisation de
changement de contrôle ;
– les autres documents dont l’association « Corail vivant, Terre des hommes » demande
communication sont soit inexistants, soit ne sont pas en sa possession, soit ne sont pas désignés
suffisamment précisément par l’intéressée.
Un mémoire, présenté par l’association « Corail vivant, Terre des hommes », a été
enregistré le 5 septembre 2022, après la clôture de l’instruction, et n’a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique du 8 septembre 2022 :
– le rapport de M. Briquet, premier conseiller,
– les conclusions de Mme Peuvrel, rapporteure publique,
– et les observations de Mme Rossignol, représentant la province Sud.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier adressé le 17 mai 2021 à la présidente de l’assemblée de la province
Sud, l’association « Corail vivant, Terre des hommes » a sollicité la communication, en premier
lieu, des avis relatifs à la cession de l’usine Vale NC qui ont été pris le 2 février 2021 par le
comité consultatif des mines, le 5 février 2021 par le conseil des mines et le 12 mars 2021 par la
commission des équipements publics de l’énergie et des transports, en deuxième lieu du rapport
n° 13532‐2021/1‐ACTS/DIMENC de la direction de l’industrie, des mines et de l’énergie de la
Nouvelle-Calédonie du 19 février 2021, en troisième lieu des autres rapports techniques et
scientifiques ayant été établis afin d’évaluer les pollutions et risques industriels avérés et
potentiels, en quatrième lieu des parties du contrat de cession intéressant les responsabilités
respectives du cédant et du cessionnaire relativement aux engagements et aux risques
environnementaux, y compris aux réparations des préjudices écologiques, établis ou éventuels,
dans toutes leurs composantes, en cinquième lieu de tout autre document permettant d’évaluer le
bien-fondé de la décision d’autorisation de changement de contrôle, au regard des enjeux
environnementaux, y compris sur les capacités techniques et financières du cessionnaire, et en
dernier lieu des documents attestant des garanties financières et techniques du cessionnaire, la
société « Compagnie Financière de Prony » ou « Consortium Prony Ressources ». Par un recours
administratif enregistré le 11 août 2021, elle a saisi la commission d’accès aux documents
administratif, qui a rendu le 14 octobre 2021 un avis favorable, à l’exception des documents
N° 2200158 3
attestant des garanties financières et techniques du cessionnaire, qui relèvent selon elle du secret
des affaires de l’opérateur concerné. L’association « Corail vivant, Terre des hommes » demande
au tribunal d’annuler la décision implicite de refus de communication des documents sollicités,
qui est née, conformément aux articles R. 343-4 et R. 343-5 du code des relations entre le public
et l’administration, du silence gardé pendant deux mois par la présidente de l’assemblée de la
province Sud à la suite de l’enregistrement par la commission d’accès aux documents
administratif de son recours administratif.
Sur l’étendue du litige :
2. Il ressort d’une part des pièces du dossier que l’association « Corail vivant, Terre des
hommes », qui produit à l’appui de sa requête une copie du rapport
n° 13532‐2021/1‐ACTS/DIMENC de la direction de l’industrie, des mines et de l’énergie de la
Nouvelle-Calédonie du 19 février 2021, avait déjà reçu communication de ce document avant
l’introduction de son recours. Par suite, la requête, en tant qu’elle porte sur ce rapport, est
irrecevable.
3. Il ressort d’autre part des pièces du dossier que, postérieurement à l’introduction de la
requête, la province Sud a procédé à la communication des avis du comité consultatif des mines
du 2 février 2021, du conseil des mines du 5 février 2021, et de la commission des équipements
publics de l’énergie et des transports du 12 mars 2021. Dans ces conditions, la requête, en tant
qu’elle a trait aux avis susmentionnés, est devenue sans objet. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer
sur les conclusions à fin d’annulation et d’injonction de l’association « Corail vivant, Terre des
hommes », en tant qu’elles sont relatives au refus de communication de ces avis.
Sur le surplus des conclusions à fin d’annulation :
4. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et
l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les
administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de
communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la
demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Ces dispositions, si elles font
obligation à l’administration de communiquer aux personnes en faisant la demande les
documents administratifs qu’ils désignent, ne sauraient néanmoins avoir pour objet ou pour effet
de charger le service compétent de procéder à des recherches ou d’effectuer un travail d’analyse
pour satisfaire à la demande des intéressés.
5. Il ressort des pièces du dossier que la demande de l’association « Corail vivant, Terre
des hommes », en tant qu’elle vise à la communication des « autres rapports techniques et
scientifiques ayant été établis afin d’évaluer les pollutions et risques industriels avérés et
potentiels », de « tout autre document permettant d’évaluer le bien-fondé de la décision
d’autorisation de changement de contrôle, au regard des enjeux environnementaux, y compris sur
les capacités techniques et financières du cessionnaire », et des « documents attestant des
garanties financières et techniques du cessionnaire, la société « Compagnie Financière de
Prony » ou « Consortium Prony Ressources » », est trop imprécise et ne pourrait être satisfaite
sans imposer à l’administration des recherches. Par ailleurs, cette même demande, en tant qu’elle
vise à la communication « des parties du contrat de cession intéressant les responsabilités
respectives du cédant et du cessionnaire relativement aux engagements et aux risques
environnementaux, y compris aux réparations des préjudices écologiques, établis ou éventuels,
dans toutes leurs composantes », porte d’une part sur un contrat que la province Sud soutient ne
pas détenir, et nécessiterait d’autre part, et en tout état de cause, de la part de l’administration un
N° 2200158 4
travail d’analyse qu’elle ne saurait être tenue de faire. Par suite, le refus de communication
opposé à l’égard de l’ensemble de ces documents doit ici être regardé comme justifié. Il en
résulte que, sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté qui est
opposée en défense, l’association « Corail vivant, Terre des hommes » n’est pas fondée à
solliciter l’annulation du refus de communication des documents restant en litige. Doivent être
rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction relatives à ces documents.
6. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de
l’association « Corail vivant, Terre des hommes », partie perdante, présentées sur le fondement
des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d’annulation et d’injonction de
l’association « Corail vivant, Terre des hommes », en tant qu’elles ont trait au refus de
communication des avis du comité consultatif des mines du 2 février 2021, du conseil des mines
du 5 février 2021, et de la commission des équipements publics de l’énergie et des transports du
12 mars 2021.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l’association « Corail vivant, Terre des hommes »
et à la province Sud.
Délibéré après l’audience du 8 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Sabroux, président,
M. Briquet, premier conseiller,
M. Pilven, premier conseiller.